Ras le cul

Ce soir j'en ai marre, ras le bol, ras le cul....

J'ai passé ma journée à rassurer, consoler un enfant de 20 mois parce que sa maman travaille en soin intensif de nuit et qu'elle ne le voit pas pendant plusieurs jours. Toujours pas de gants, toujours pas de gel, toujours pas de masques...

Je risque ma vie, celle de ma fille, celle de mon mari.

Ce soir j'avais envie de parler d'autres choses. J'avais envie de rire. Même par skype. J'avais envie de me changer les idées. Mais aujourd'hui les gens ne parlaient que du 11 mai. Que du retour à l'école trop rapide, mais de la fin du confinement trop lointain... Les gens étaient déprimés de la brocante annulée, du concert loupé, du voyage qui ne se fera pas.

Aujourd'hui les profs se plaignaient: comment vont-ils faire? Les gestes barrières avec un enfant de 5 ans? Sans masques?

Je sais que ces questions sont légitimes. Je le sais parce que ça fait un mois que je les pose. Ça fait un mois que j'ai peur. Ça fait un mois que je culpabilise de faire prendre des risques à mon mari et à ma fille. Mais moi tout le monde s'en fout. Moi je n'instruis pas, je ne sauve pas de vie, je change des couches. 

Moi je n'ai pas de ministre pour me répondre à la télé, moi je n'ai pas de média qui viennent à ma rencontre pour me parler. Non moi, je change des couches. Je nourris aussi un peu des fois. Ah oui. Je joue. J'observe. Je fais en sorte que tout aille bien.

Moi aussi, ma brocante a été annulée, mes spectacles loupés, et je ne partirai pas à Santorin cet été. Mais je m'en fout en fait. Cet été je vais surement ne pas prendre de vacances car il faudra rattraper ces mois sans travail. Mais je m'en fout en fait. 

Pourquoi je m'en fout? Parce que si cet été je travaille, c'est que cet été je serai en vie, et qu'autour de moi personne n'aura été touché.

Et ce soir j'en ai ras le cul d'être juste soulagée de vivre, soulagée que personne ne soit touché autour de moi. 

Ce soir je voudrais juste que quelqu'un s'inquiète pour moi. 

Je voudrais juste qu'on me dise "attends on va trouver des masques pour toi et tes collègues, on va se mobiliser". 

Je voudrais qu'on m'aide à ne plus avoir peur,  je voudrais qu'on m'écoute. 

Je voudrais qu'on rit avec moi les soirs où c'est plus dur.

Je voudrais qu'on me serve les bonnes blagues à la place des mauvais mojitos à 10 balles de Paris.

Je voudrais que la PMI m'appelle pour me dire comment consoler un enfant de 20 mois qui ne comprend pas pourquoi il ne voit plus sa maman.

Je voudrais qu'elle m'explique aussi comment on fait pour ne pas être bouleversé par cette situation.

Je voudrais être moins seule.

Voilà. Je vais aller me coucher seule avec mon chagrin et ma peur, puisque la société entière s'en fout.

A demain. Ou pas.