De l’art de se remettre en question


Quand on est parent on tâtonne. On sait pas. On a beau suivre les conseils des supers psy de la petite enfance, comprendre les tempêtes émotionnelles, la bienveillance, savoir ce qu’est une étape de motricité on galère.

Souvent les parents viennent à ma rencontre. « Elle dort pas en ce moment… ce sont des crises à n’en plus finir… » ou « il ne veut plus de son lait le matin je ne sais plus quoi faire… ». 

Je l’ai déjà dit ici. J’adore cette partie de mon travail… l’accompagnement parental… trouver des solutions pour le bien être de l’enfant me fascine plus que la peinture aux coquilles d’œufs. 

Et puis un jour… je me suis retrouvée face à un petit garçon qui pleurait tout le temps du matin au soir. Toutes les 5/10 min se déclenchait une crise de larmes: un enfant qui avait un jouet, un balais qui était rangé à sa place et qu’il désirait, un autre enfant qui était servi avant lui. 

Au bout de quelques semaines… un vendredi, je me souviens, je n’en peux plus. J’ai littéralement envie de le jeter par la fenêtre. Je le pose dans son lit où il continue de crier, mais à travers la porte fermée, je l’entends moins. Je pars me calmer. 

Pendant que les deux autres sont calmes, j’hésite à appeler la PMI. Je suis dans ma deuxième année d’accueil et la puer doit passer la semaine d’après. On est en période un peu tendue, une de mes collègue fait la une des journaux pour avoir laissé seuls deux enfants pendant la sieste pour aller faire les soldes, je ne suis pas sure d’être dans la meilleure période pour, une semaine avant la visite lui casser les pieds avec un problèmes de pleurs transitoires. 

Mais toujours est-il que cet enfant pleure et que là, a l’instant T je ne le supporte plus. 

Je pense soudainement à Segolene l’animatrice du RAM. Je l’aime bien. Elle est souvent très juste et de bon conseil, même si elle peut parfois être très cash. Je me pose 5 min la question de savoir si, si elle me dit que c’est ma faute, vais-je pouvoir l’entendre? 

Je me laisse le week-end pour réfléchir puis le lundi pendant la sieste, suite à une matinée de pleurs je l’appelle. 

Après les présentations d’usages et les « comment allez vous? » je lui expose mon problème.

- Comment ça se passe avec les parents?

Ah oui. Tiens. Les parents. 

- Je ne vois que la maman, le papa n’est pas là la semaine. Souvent j’essais de lui dire des choses mais j’ai l’impression qu’elle pense que je critique son enfant tout le temps alors que j’essaie juste de lui faire part des progrès ou des aides qu’on peut apporter à son enfant.

- Vous avez un exemple? 

- Oui par exemple, quand il commençait à marcher il marchait beaucoup sur la pointe des pieds. Donc je lui explique que c’est un passage mais que parfois ça peut être favorisé par le youpala. Elle me dit qu’en effet ils en ont un. Alors je lui ai dit que c’était pas top pour les enfants et que nous c’était interdit. Qu’il valait mieux éviter. Elle m’a répondu sèchement que son fils allait très bien et qu’en semaine elle était seule et qu’il avait marché à 11 mois et ça c’était grâce au youpala, et que c’était bien pratique pour l’occupper quand elle devait remplir des papiers ou cuisiner. Du coup j’ai calmé le jeu mais je me suis dit que ça allait être compliqué de discuter avec elle, donc j’essaie de trouver des solutions par moi-même et je n’aborde plus le sujet.

- On sait que le youpala c’est pas top et dangereux. Vous avez eu raison de prévenir. Mais Magali… vous n’avez tout simplement pas les mêmes « croyances ».

Je stoppe. Quoi??

- Vous avez des connaissances qu’ils n’on pas. En disant ça de cette manière elle a entendue que vous lui disiez qu’elle ne faisait pas comme il faut. Ce sont ses choix. Et même si ce ne sont pas les « bons choix » d’un point de vue « professionnel » vous ne pouvez pas le remettre en cause d’un point de vue parental. Vous pouvez l’accompagner à abandonner le youpala, lui proposer d’autres solutions … mais lui dire « c’est pas top » vous lui dire « vous êtes pas top ». 

Ça me glace un peu.

- Du coup, Marcel le sens cette tension entre vous… donc il pleure. 

Je me défend un peu. Mais je sais qu’elle n’a pas tord.

- Essayez de rencontrer le couple un week-end ou si ça vous embête un soir la maman et remettez les choses à plat. Et parlez à Marcel. Dites lui « tout va bien. On a un petit désaccord avec maman mais tu vois elle me fait toujours confiance pour t’accueillir ici. On va se parler et ça ira mieux. Mais toi tu n’as pas à être inquiet. Et tu peux me parler pour me demander des choses. »

J’ai appliquer ses conseils. J’ai rencontrer le couple et le papa, qui n’avait pas participer à la discussion et avait le recul nécessaire pour entendre ce que j’avais à dire et mes excuses sur le fait que ma formulation était en effet très mauvaise. La maman a admis que la fatigue, le fait de faire son anniversaire seule et le fait d’être seule en semaine devenait compliqué et qu’elle n’ a sans doute pas cherché à comprendre ce que je voulais dire. 

J’ai parlé à Marcel. Le grand que j’accueillais a l’époque lui a clairement dit « elle a raison nounou tu nous casse les oreilles toute la journée ». Et progressivement les pleurs ont cessés. 


 J’ai beaucoup culpabilisé de cette situation car je me suis énervée après l’enfant, le parent, et a aucun moment je ne m’étais demandé si ça pouvait venir de moi. 

Quelques jours après l’entretien j’ai renvoyé un SMS à Ségolène.

« Bonjour Ségolène! Juste pour vous dire merci pour l'autre jour. J'ai pris un peu de recule et je me suis un peu remise en question avec cette maman.  Ma frustration a en effet peut être un peu prit le dessus... on a discuté avec Marcel. Je lui ai dit qu'il y avait des règles à la Maison et qu'il ne pouvait pas pleurer tout le temps, que d'abord je ne comprenais pas ce qu'il voulait et qu'en plus, ce n'était pas agréable pour les autres. Sur ce, Marius qui jouait calmement est venu et lui a dit "bah oui ça fatigue mes oreilles". Je lui ai expliqué aussi pour maman…. Du coup on a un léger mieux depuis le début de la semaine. Alors c'est pas non plus idyllique mais y a du progrès.

Et puis Oui. J'ai appris ça: on a beau être professionnel parfois il faut être clément avec nous-mêmes et se dire qu'on peut se planter ou pas savoir et que c'est pas grave. Être professionnel ce n'est pas être parfait... c'est savoir s'adapter et se remettre sans cesse en question sur sa pratique. J'avais peut être besoin d'un petit peu d'humilité. Merci en tout cas. Et j'espère à bientôt  Merci pour vos précieux conseils. »

Alors elle m’a repondu ceci.. 

« C'est très juste ce que vous décrivez. Comme pour un parent... et puis admettre qu'on peut se tromper c'est aussi le montrer et pourquoi pas le dire aux enfants... ainsi eux-même savent qu'ils ont le droit à l'erreur et que l'idée c'est d'en faire quelque chose pour avancer... sans culpabiliser...

Il est vrai que vous êtes une professionnelle dont les convictions sont fortes et à mon sens justes! Mais parfois quand on s'emballe, on est pris dans quelque chose de non constructif...

Alors il faut essayer de prendre de la hauteur afin d'avoir une vision plus globale... 

Exercice difficile, d'autant plus quand on travaille seule...

Le Relais existe notamment pour vous apporter ce soutien! 

Vous avez su vous en saisir... donc je ne dirais pas que vous manquiez d'humilité, mais de recul!

Bonne journée »


En quelques lignes, Ségolène m’avait réajusté, remis sur les rails, rassurée. Et surtout elle m’a permis de me remettre en question. 

Les parents n’ont pas toujours tous les tords. Alors je sais à l’avance que dans les commentaires je vais avoir 8 messages qui vont me dire « oui mais quand même des fois… ». Oui des fois. Mais la question n’est pas là. 

La question c’est nous « professionnelles ». Posons nous les questions. Les bonnes questions. Remettons nous en question. Posons nous deux minutes pour savoir si on a fait le maximum ou si la frustration ou la fatigue n’ont pas prit le dessus. Est-ce que dire à un parent « il a été horrible aujourd’hui, il fait des caprices, il faut commencer à être plus dur , à ne pas tout lui céder », c’est entendable  par un parent? 

J’avais un collègue quand j’étais éducatrice stagiaire qui m’avait dit « tu commences toutes tes phrases par « il faut ». Mais il faut… qui a dit qu’il fallait? Un dieu, un président? Y a un code comme le code civil? Y a un code qui dit « si tu fais ça tu vas sortir de la rue c’est plus magique que Harry Potter et toute sa clique ». Arrête avec tes « yfo ». Les sdf il pourrait te donner plus de leçons que n’importe qui. T’es pas là pour leur dire quoi faire. T’es là pour les accompagner ».

Cette rouste, cette réprimande, m’a accompagnée  toute ma vie et m’est soudainement revenue en mémoire. Je me souviens plus du prénom de cet éduc mais je me souviens de sa tirade. Et si j’avais arrêté le « il faut », en tant qu’éduc, je devais aussi accompagner et non pas « diriger les parents ». 

Alors accompagnons, écoutons. Et co-éduquons . Et quand un parent n’écoute pas ou n’est pas réceptif à notre parole ne le jugeons pas mais intégrons l’idée que juste il n’est pas encore prêt à l’entendre et qu’il a le droit. Et que c’est à nous d’accepter et d’accueillir ce doute et de faire passer le message autrement. 

Et soyons clément avec nous même. On a aussi le droit de se planter. Le plus grave c’est de ne pas le reconnaître. 

A la semaine prochaine ou pas. 

Commentaires

  1. Un tres jolie texte tellement vrai
    Bon week-end mag

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  2. Très bien écrit et parfaitement vrai merci

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    1. Merci!!!! Raconte moi tes remises en question à toi!!!

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  3. Très bien ecrit, plein de vérités...je me dis souvent qu il faut savoir dire ce que l autre peut entendre...🤭 oups je viens d écrire il faut !

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  4. Bien ecrit ! Une puer a qui j ai demandé de l aide dans une situation compliquée ou j avais essayé plusieurs pistes sans succès m a dit "vous avez une obligation de .....pas de résultats

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    1. Elle a parfaitement raison... Et c'est d'ailleurs pour ça que j'ai choisi ce métier...

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